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May 11, 2023

Taïta Taveta

Article de Victor Léon

Alors que le pays est sur le point de nommer son nouveau président le 9 août, la grave sécheresse qui touche les communautés rurales du comté de Taita Taveta a de terribles conséquences. Les femmes et les enfants sont parmi ceux qui subissent les répercussions les plus graves.

L'Est de l'Afrique connaît une sécheresse catastrophique et une crise alimentaire qui dégénèrent rapidement en une crise humanitaire à grande échelle. Selon un récent rapport d'Oxfam et de Save the Children, « une personne [est] susceptible de mourir de faim toutes les 48 secondes » en Éthiopie, au Kenya et en Somalie1. Le Kenya a connu une quatrième saison des pluies consécutive qui n'a pas apporté de secours, avec des précipitations faibles et irrégulières contribuant à une sécheresse prolongée d'une ampleur sans précédent au cours des 40 dernières années2. De plus, l'invasion de l'Ukraine par la Russie fait monter les prix des denrées alimentaires et des produits de base essentiels et jette une ombre sur cette préoccupation humanitaire. Les élections générales du 9 août auraient été un excellent forum pour aborder le problème, mais les promesses des candidats sont plus souvent des symptômes de campagne électorale que soutenues par des plans d'action concrets. Dans ce contexte, les ONG comme ActionAid et les réseaux locaux sur le terrain sont parmi les rares à apporter une réponse. Il en faut beaucoup plus pour sauver des vies et éviter une catastrophe.

Dans le comté de Taita Taveta, cela se traduit par des luttes accrues pour les communautés rurales déjà confrontées à la pénurie d'eau et aux conflits homme-faune. Comme la collecte de l'eau est traditionnellement une corvée féminine et que les ménages monoparentaux sont généralement dirigés par des mères, les femmes et les enfants sont les plus vulnérables à ces impacts qui mettent en péril leurs moyens de subsistance. Les histoires de Patience, Vainess et Grace attestent de cette précarité.

6h53 – C'est l'heure du petit-déjeuner dans la maison de Patience. Ce matin, comme tout autre repas, la nourriture sera composée de riz et de haricots. La famille se réveille au soleil avant que les enfants ne partent à l'école, à une heure de marche de la ferme. Malgré 10 acres de terre, elle est incapable de cultiver quoi que ce soit. En effet, bordée par le parc national de Tsavo, la zone est visitée quotidiennement par des éléphants à la recherche de nourriture et d'eau, détruisant ainsi toute plantation qu'elle a entreprise jusqu'à présent. Des revenus insuffisants et instables empêchent Patience, le soutien de famille du

Ménage de 7 personnes, pour fournir trois repas par jour à ses proches : la plupart du temps, un repas est tout ce qu'ils peuvent se permettre. Au-delà de la destruction des champs, les éléphants constituent une menace pour l'éducation : il n'est pas rare que les élèves les rencontrent sur le chemin de l'école.

7h36 – Lorsque l'eau se fait rare, il n'est pas surprenant que toute consommation soit restreinte. En termes d'hygiène, cela implique que le strict minimum est possible. La petite-fille de 5 ans de Patience, Abigale, peut être vue sur cette photo en train de faire des "toilettes de passeport". Comme son nom l'indique, il consiste en un lavage minimal, c'est-à-dire les pieds, les mains et le visage. "Même pour cuisiner ça devient un challenge", déplore-t-elle.

9h22 – Après 45 minutes de marche, Patience atteint le point d'eau. Elle s'est d'abord rendue au robinet d'où elle tire habituellement son eau. Cependant, des éléphants ont cassé la conduite d'eau qui alimente le kiosque la nuit dernière. Les collectivités y sont habituées : la canalisation a déjà été réparée plus d'une vingtaine de fois en quelques mois. En conséquence, elle s'est rendue à l'endroit de la fuite. Là, elle recueille l'eau d'un étang boueux qui s'est formé pendant la nuit. La bonne nouvelle est qu'elle ne sera pas facturée pour l'eau, ce qui représente une économie importante pour la famille pauvre. Dans la terre desséchée, les marques caractéristiques de la peau des éléphants laissées pendant la nuit lorsqu'ils se couchaient dans la boue en témoignent. L'eau non collectée s'écoule le long de la pente, gaspillée.

10h20 – Le soleil ardent est maintenant haut dans le ciel. Patience porte son premier jerrican de 20 litres sur le dos avec une sangle autour du front. Chaque jour, le ménage en consomme environ trois. Ainsi, chaque jour, elle les porte un à un, faisant des allers-retours pendant des heures entre sa maison et le point d'eau. Cette corvée épuisante occupe la moitié de sa journée, ne laissant pratiquement pas de temps pour des activités génératrices de revenus.

Plus tard dans la journée – Vivant avec son frère handicapé et trois de ses quatre enfants, la mère aînée de deux enfants elle-même, Patience est chargée de trouver des moyens de générer des revenus. L'agriculture autrefois productive n'existe plus en raison des pluies perturbées et des conflits avec la faune. Elle a également dû vendre toutes ses chèvres pour payer les frais de scolarité. Face à cette situation complexe, elle récolte désormais du foin et le revend aux voisins. Parfois, elle vend des poteries qu'elle fabrique à partir de l'argile stockée dans le sol devant sa maison. "Parfois, je pense à abandonner ce foyer", avoue-t-elle, "mais ensuite je me demande à qui je laisserais ma famille."

Pour la même raison que Patience, Vainess a dû abandonner tout espoir de cultiver et essaie également de vendre du foin. Heureusement pour elle, elle possède encore peu de bétail et se lance dans l'élevage de volailles. Par l'ouverture creusée par les éléphants dans la clôture, on la voit s'occuper de ses chèvres qui paissent. Les chèvres, une espèce très résistante, sont une sorte de filet de sécurité, apportant un soulagement temporaire lorsqu'elles sont vendues.

Vainess a la chance de posséder deux ânes. Elle les utilise pour la seule activité d'aller chercher de l'eau, 8 jerricans à la fois, la soulageant ainsi d'une tâche épuisante. Pourtant, c'est une longue marche intimidante de 6 heures qu'elle s'engage à faire au moins deux fois par semaine car elle doit fournir de l'eau supplémentaire à son bétail. Les différents membres de cette communauté sont inégalement touchés par la charge de l'eau. Les plus aisés paieront plus de dix fois le prix d'un jerricane d'eau pour en faire transporter et remplir un par un boda-boda, c'est-à-dire une moto.

Vainess arrive enfin au kiosque à eau près de deux heures après avoir quitté sa maison. Commence alors l'attente, qui peut durer des heures car il n'y a qu'un seul robinet d'eau potable dans un rayon de plusieurs kilomètres. "La réalité, c'est que nous passons le plus clair de notre temps à aller chercher de l'eau", regrette-t-elle.

11 h 16 – Tout comme Patience et Vainess, Grace (à gauche de la photo) a dû changer de gagne-pain. Mais elle aurait peut-être mieux réussi en s'associant à d'autres femmes pour former "Shining Star", un petit réseau de base dont les membres unissent leurs forces pour développer de nouvelles activités génératrices de revenus. En plus de la revente de produits de base, ils ont également lancé une entreprise de fabrication de savon : ils achètent tous les constituants et les mélangent entre eux. Pendant la pandémie, ils ont fourni leur savon liquide à de nombreuses entreprises et ménages environnants. Ce changement de mode de vie a été facilité par des formations d'autonomisation des femmes dispensées par l'ONG ActionAid et son partenaire local Sauti ya Wanawake (La voix des femmes en swahili) qui les ont aidées à développer des compétences en finance et en comptabilité. Certains ont également bénéficié d'une formation professionnelle complète (maçonnerie, couture, coiffure…) pour diminuer la dépendance à l'agriculture pluviale. Des ONG comme ActionAid ou la Croix-Rouge kenyane sont parmi les rares acteurs à venir en aide aux communautés agropastorales de Taita Taveta, faisant ainsi dire à Vainess que ces communautés sont ''oubliées'' par les gouvernements nationaux et des comtés.

13h02 – Comme la plupart de ses voisins, le chomba (petit champ en swahili) de Grace est fréquemment visité par les éléphants, rendant vaine toute tentative de culture. Là, elle pointe du doigt l'empreinte laissée par le pachyderme la veille. Les années précédentes, elle réussissait à bien gagner sa vie en vendant le surplus de la récolte. De nos jours, elle peine à mettre suffisamment de nourriture sur la table, la plupart du temps limitée à un repas par jour.

17h47 - Parce que son mari est, espérons-le, temporairement handicapé, elle doit trouver d'autres sources de revenus. La modeste structure en construction à l'arrière-plan est une petite boutique qu'elle compte ouvrir dans son enceinte. Lorsqu'il sera prêt, elle espère trouver des clients parmi ses voisins pour s'approvisionner à Voi, la ville la plus proche. Grace peut compter sur le soutien de l'association Village Loan and Saving dont elle fait partie, une initiative de table-banking, pour l'aider à financer ce projet.

La zone où vivent Patience, Vainess et Grace est entourée de nombreuses réserves privées et de l'un des plus grands parcs nationaux du Kenya, Tsavo. Elles sont une manne financière pour les propriétaires terriens mais elles riment avec désespoir et mécontentement pour les communautés rurales. Les réserves ont été accusées de surexploitation de l'eau et d'accaparement des terres dans les zones

où les communautés rurales sont installées, tout en omettant de prendre les précautions adéquates contre les fuites d'éléphants. Dans la réserve représentée, l'un des deux points d'eau est artificiellement alimenté en ce précieux liquide, au pied d'une station balnéaire où les touristes fortunés peuvent sans effort observer la faune qui s'y astreint.

Patience (4e à gauche en partant du coin en bas à droite) et Grace (hors cadre) assistent à un meeting politique dans la perspective des élections générales du 9 août. Les candidats tentent de charmer les électeurs sur des questions urgentes alors que le pays se prépare à cet événement politique très attendu. Beaucoup font des promesses sur l'amélioration des infrastructures hydrauliques et une meilleure gestion de la faune. Cependant, comme le dit Vainess, ils « s'enfuient et ne reviennent jamais » une fois élus. Par ailleurs, la période électorale paralyse aussi en quelque sorte le pays en pleine période de soudure alors que la saison des pluies de novembre-décembre devrait à nouveau échouer.

1 https://www.oxfam.org/en/press-releases/one-person-likely-dying-hunger-every-48-seconds-drought ravaged-east-africa-world

2 https://www.the-star.co.ke/news/2022-07-06-worst-drought-in-40-years-risks-new-conflicts-uhuru-tells-igad

Images reproduites avec l'aimable autorisation de Victor Léon.

Victor Leon est un ingénieur économique spécialisé dans le changement climatique et l'économie. Il a réalisé plusieurs projets photojournalistiques, poussés par son intérêt pour la photographie et les questions socio-humanitaires. Après un projet de 4 mois sur la migration en Europe, il a travaillé au Kenya en tant qu'humanitaire. La vingtaine, le photographe partage principalement son travail sur son compte Instagram, @victorle0n" (lien vers mon compte : https://www.instagram.com/victorle0n/)

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